Le centriste indocile
Le mot s’impose de lui-même : « furtif ». Certains de ses collègues dépités ajoutent : « ondoyant », « insaisissable ». Un autre complète : « au fond, on ne sait pas qui il est vraiment ». mince, pas très grand, souple, cintré dans des costumes gris de bonne coupe, Dominique Paillé, 50 ans, se faufile dans la salle des quatre colonnes de l’Assemblée nationale, passant d’un journaliste à l’autre comme un nageur lâchant une bouée pour une autre. Le visage encore poupin laisse toujours deviner le premier communiant qu’il fut.
Homme de coulisses, discret, décrypteur avisé des jeux de pouvoir, il aime s’installer aux tables réservées aux journalistes. Si sa présence surprend parfois, c’est qu’on ne l’a pas vu venir. Il susurre : « quoi de neuf ? » N’attend pas la réponse. Repart aussi discrètement qu’il était apparu sur un bon mot ou une vacherie.
C’est ce que presque M. Tout-le-Monde, député UMP des Deux-Sèvres, qui montera au créneau dans le débat parlementaire sur la privatisation de GDF et sa future fusion avec Suez. Il compte se faire le porte-parole de la trentaine d’élus UMP prêts à batailler contre ce projet. Pourquoi ? « parce que l’indépendance énergétique de la France n’est pas négociable » avance t-il.
Il dit encore avoir été éprouvé par les témoignages de particuliers et de petits industriels de sa commune des Aubiers (Deux-Sèvres) venus lui dire qu’ils « ne peuvent plus faire face aux dépenses d’énergie ». Au cœur de l’été, il cosigne avec l’ancien ministre du logement Marc-Philippe Daubresse une tribune dans le Figaro dans laquelle il expose ses six raisons de dire non à ce projet. Ceux qui le connaissent disent avoir été surpris par tant de conviction.
En se déclarant le 15 août favorable à cette fusion, Nicolas Sarkozy a mis fin à ce qui promettait d’être une nouvelle guerre de tranchées entre sarkozystes et chiraquo-villepinistes. Le lendemain, Dominique Paillé l’a appelé au téléphone, le président de l’UMP lui a donné son feu vert pour continuer malgré tout son combat. « Chaque opinion doit être débattue », lui a glissé le futur candidat.
« Tant pis si personne ne me suit, lâche Dominique Pailllé. Je suis un chasseur solitaire ». Ce qui ne l’empêche pas de choisir ses mentors. Aujourd’hui, c’est Nicolas Sarkozy. Autrefois, c’était François Bayrou. Avant encore, c’était le PSU de Michel Rocard. On s’étonne. Dominique Paillé justifie. Né dans une famille modeste – père militaire, mère au foyer et dame de catéchiste – fortement marquée par les valeurs d’entraide et de partage du catholicisme social, il a longtemps rêvé de na jamais quitté sa province : « j’avais le sentiment que rien de désagréable ne pouvait m’arriver ». Attiré, dans la foulée de Mai 68, par « l’école de pensée » de l’ancien premier ministre socialiste, rétif à la discipline, il s’épanouit un temps dans l’autogestion et le « bordel organisé ».
En 1974, alors qu’il poursuit ses études à Sciences-Po Paris, c’est pourtant Giscard qui le séduit : « Il donnait l’impression de pouvoir faire repartir la société ». Il anime quelques réunions, colle des affiches, mais le milieu bourgeois des jeunes giscardiens parisiens le rebute : « ce n’était pas mes sources ». Dominique Paillé flotte entre deux mondes, ne sachant auquel s’amarrer.
C’est au CDS (Centre des Démocrates Sociaux) qu’il s’enracine. Dans cet univers du centrisme policé, ce provincial joue les conseillers et les stratèges. Nommé président du groupe Union centriste à l’Assemblée, il s’épanouit. Michel Rocard ne disposant que d’une courte majorité au Parlement, les députés du centre sont choyés, écoutés. « Il n’y avait pas de discipline de vote. La liberté était un principe de base intangible », raconte-t-il avec des accents nostalgiques.
Le député d’Ille et Vilaine, Pierre Méhaignerie, son patron de l’époque, loue comme beaucoup d’autres son « esprit vif », « son horreur de la langue de bois » tout en convenant : « s’il y en avait trente comme lui dans un groupe parlementaire, ce ne serait pas facile à gérer ». Dominique Paillé : « J’aime ce jeu de rôles entre la séduction et le partage des convictions ».
Les belles années ont une fin. La discipline finit, elle aussi, par s’imposer chez les centristes. Dominique Paillé vit la montée en puissance de François Bayrou comme une mise au pas. Il reste dans les marges, même s’il mène pour le nouveau dirigeant centriste a campagne des européennes de 1999, sa plus belle épopée à ce jour. Il sera le premier à demander au député des Pyrénées Atlantiques e renoncer à se présenter à la présidentielle de 2002. Puis, il finira, comme beaucoup d’autres, par rejoindre l’UMP dans les bagages de Philippe Douste-Blazy. « François m’en a voulu, mais nous continuons à nous parler », explique-t-il. « C’est vrai, Dominique nous appelle, confirme Marielle de Sarnez, le bras droit du président de l’UDF. Nous échangeons des analyses ». A l’UDF, on s’amuse de ce double jeu du député des Deux-Sèvres et l’on raille « un smiley au petit pied ».
Ce parcours en souplesse et sans accroc véritable connaîtra pourtant un heurt. En septembre 2000, la justice le met en examen dans le cadre de l’affaire de la MNEF. Il est soupçonné d’être intervenu afin de faire embaucher une collaboratrice dans diverses sociétés pharmaceutiques, celle-ci lui rétrocédant ensuite une partie de ses émoluments. Non-lieu. Mais il gardera longtemps la réputation d’avoir laissé quelqu’un d’autre payer à sa place. « J’espérais qu’on n’en parlerait pas avoue-t-il un peu contrit, j’ai été meurtri. Heureusement, la vie efface tous les événements même les plus malheureux. »
Et maintenant ? Rentré dans le rang de l’UMP, il affirme, comme de nombreux autres, « qu’il ne cirera pas les pompes de Sarkozy ». Le président de l’UMP en a fait une de ses têtes de pont en direction des syndicats. Ses liens avec une partie de la gauche, son passé de directeur d’hôpital et de syndicaliste hospitalier le désignent pour le rôle. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, qu’il a rencontré avant l’été, l’a trouvé « très professionnel, très au courant des dossiers ».
Dominique Paillé feint de ne pas être dupe de sa place au côté du président de l’UMP. Il sait qu’il n’est pas du premier cercle même s’il participe aux réunions pour ébaucher le futur programme de l’UMP aux législatives. Pour l’heure, il observe les rouages de la machine, attendant de se rendre un jour peut-être indispensable. « On n’a pas de vrais amis en politique, lâche-t-il, on a des réseaux. Nous sommes tous liés par des sentiments d’intérêt ».
Philippe Ridet